BIBLIOTHEQUE DU CHÂTEAU DE DAUBEUF ET PRECIEUX PSAUTIER ENLUMINE, VERS 1320

Le 12 juin prochain, Beaussant Lefèvre, assisté de l’expert Alain Nicolas, organisera une importante vente d’autographes, livres et manuscrits comprenant notamment la Bibliothèque du Château de Daubeuf (Normandie). Une grande partie des quatre mille trois cents volumes provenant du château de Daubeuf porte l’ex-libris armorié du marquis de Pomereu. Michel-Marie de Pomereu (1779-1863) fut président au Parlement de Rouen à la veille de la Révolution, et épousa l’héritière de la famille d’Aligre – quelques volumes de la bibliothèque du château de Daubeuf portent également des ex-libris gravés et manuscrits de celle ci. La mention « BIBLIOTHEQUE DU CHAU DU HERON» figure le plus souvent sur les ex-libris du marquis de Pomereu. Le château du Héron inspira des pages célèbres à Gustave Flaubert. Cette belle bâtisse s’élevait près de la forêt de Lyons en Seine-Maritime (elle fut détruite après la Seconde Guerre mondiale) : à l’âge de quatorze ou quinze ans, l’écrivain vint y danser au bal et devait s’en souvenir dans plusieurs de ses écrits. Il évoque en effet le château du Héron dans ses textes autobiographiques Cahier intime de 1840-1841 et Voyage en Orient, ainsi que dans sa correspondance : « Je marchais poussant mes pieds devant moi, et songeant à des matinées analogues... à une entre autres, chez le marquis de Pomereu, au Héron, après un bal. Je ne m’étais pas couché et le matin j’avais été me promener en barque sur l’étang, tout seul, dans mon habit de collège. Les cygnes me regardaient passer et les feuilles des arbustes retombaient dans l’eau. C’était peu de jours avant la rentrée [...] » (lettre à Louis Bouilhet, 13 mars 1850). Surtout, Flaubert a transposé ses souvenirs dans Madame Bovary, dans L’Éducation sentimentale et dans Quidquid volueris. Le château de La Vaubyessard, où madame Bovary participe à un bal, emprunte ainsi ses traits à celui du Héron : « Le château, de construction moderne, à l’italienne, avec deux ailes avançant et trois perrons, se déployait au bas d’une immense pelouse où paissaient quelques vaches, entre des bouquets de grands arbres espacés, tandis que des bannettes d’arbustes, rhododendrons, seringas et boules-de-neige bombaient leurs touffes de verdure inégales sur la ligne courbe du chemin sablé [...] » (Madame Bovary, 1857, t. I, chap. 8). L’autre partie de la vente retiendra également l’attention des amateurs. Ainsi, la pièce phare, un psautier enluminé, daté vers 1320, est estimée 200 000 à 300 000 €. Il s’agit d’un magnifique exemple du style de la région d’Arras, se rattachant plus particulièrement au style du Roman de la Manekine, manuscrit enluminé à Arras vers 1300. Ce style, qui fleurit dans les années 1270 à environ 1315, se distingue par des architectures gothiques et de nombreuses drôleries marginales. Ce psautier fut probablement commandé par Isabelle de Lens, épouse du gouverneur de l’Artois. Deux mains distinctes semblent alterner dans le travail d’enluminure. Le psautier comporte douze magnifiques lettrines historiées, d’une grande finesse d’exécution, formées chacune d’une scène inscrite dans un retable architecturé doré, le tout brochant sur l’initiale elle-même, celle-ci tracée finement avec entrelacs ajourés. Cette élégante disposition où la lettre se trouve reléguée au second plan est peu commune. L’art des marges : appelées au Moyen Âge des « drôleries », des « fables », des « curiosités », des «singeries» (babuini), ou encore des « fatrasies », en référence à un genre de poésie comique, ces images envahissent les marges des manuscrits peu après le milieu du XIIIe siècle, notamment dans les régions franco-flamandes. Leur mode connaît son apogée dans le premier quart du XIVe siècle. Le développement de ces marginalia est principalement à mettre en rapport avec une demande plus forte de livres dans les milieux laïques. On notera ainsi de superbes drôleries marginales dont 141 « bas de pages » et des ornements accompagnant tous les encadrements. Elles figurent des hommes et femmes, des anges, des diables, des animaux et des monstres hybrides. De nombreuses scènes évoquent l’univers courtois, des scènes animalières dont des Singeries, des musiciens… Par ailleurs, la vente comprendra également deux ouvrages très rares sur les Jésuites dont : - Jésuites de Saint Ignace de Loyola, Constitutiones Societatis Jesu. Romæ, in ædibus Societatis Jesu, 1558-1559, un petit in‑8 estimé 8 000 / 10 000 €. Il s’agit d’une édition originale des Constitutions de la Société de Jésus, rarissime exemplaire bien complet de toutes ses parties. - Jésuites. – RATIO ATQUE INSTITUTIO STUDIORUM per sex patres ad id jussu R. P. præepositi generalis deputatos conscripta. Romæ, in Collegio Soc. Jesu, anno Domini 1586. [Au verso du dernier feuillet:] Romæ, excudebat Franciscus Zanettus, 1586, un petit in‑8 estimé 12 000 / 15 000 €. Cette édition originale, d’une rareté insigne fut tirée à seulement 100 ou 120 exemplaires hors commerce, elle fut exclusivement destinée à une diffusion interne à l’ordre, c’est-à-dire auprès des provinciaux de la Compagnie qui devaient en recevoir des exemplaires accompagnés d’un questionnaire manuscrit. L’extrême rareté actuelle de ce livre s’explique non seulement par son tirage restreint, mais également par le fait qu’il s’agissait d’un document préparatoire qui ne fut pas conservé : quand la version définitive de la Ratio fut imprimée en 1599, le supérieur général Claudio Acquaviva donna par lettre du 29 mars 1599 l’ordre de recueillir et brûler toutes les éditions antérieures. En outre, certains exemplaires ne parvinrent jamais à leurs destinataires, l’Inquisition espagnole ayant par exemple fait saisir ceux destinés aux jésuites de la province de Castille.